Comment le monde agricole burkinabè se tourne vers l’agroécologie après le Covid-19

Article : Comment le monde agricole burkinabè se tourne vers l’agroécologie après le Covid-19
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19 juin 2020

Comment le monde agricole burkinabè se tourne vers l’agroécologie après le Covid-19

Mondoblog lance le projet Mondoblog, unis contre le Covid-19, pour raconter l’évolution et les conséquences de la pandémie de coronavirus du point de vue des Mondoblogueurs sahéliens.


Bien avant la crise du coronavirus, les pays du Sahel faisaient déjà face à de nombreux défis sur le plan alimentaire, notamment à cause de la sécheresse et de la situation sécuritaire. Depuis quelques années, une partie de la population, contrainte de se déplacer, a abandonné les terres agricoles, qui a provoqué une perte significative des rendements. Ajoutez à cela la pluviométrie capricieuse et la dégradation des sols, le Faso se retrouve désormais avec une production agricole insuffisante. 

Aujourd’hui, la pandémie de coronavirus met en évidence la vulnérabilité des systèmes de production et de distribution des denrées alimentaires dans les pays du Sahel. Au début de l’épidémie, le gouvernement du Burkina a mis en place différentes mesures pour barrer la route au Covid-19, telles que la fermeture des frontières et des marchés. Ces mesures ont eu des conséquences considérables sur le monde agricole, les agriculteurs ont connu une baisse notoire de leur activité. On constate donc aujourd’hui que la politique agricole du pays n’est pas suffisamment solide pour affronter les effets d’une telle crise sanitaire. Si le pays des hommes intègres veut assurer sa souveraineté alimentaire, il n’a pas d’autre choix que de se réinventer.

Un système de production qui a atteint ses limites

Le Burkina Faso est un pays enclavé qui dépend fortement des importations pour s’approvisionner en riz, farine, lait et huile. Ces produits viennent des pays côtiers voisins. Et comme le Burkina a développé ce système d’importations de produits de base, il a délaissé la production locale. L’arrivée du Covid-19 a alors mis en évidence la fragilité du modèle agricole conventionnel du pays qui a clairement atteint ses limites avec la crise sanitaire.

En raison des mesures liées à la lutte contre la propagation du coronavirus – la fermeture des frontières, la mise en place du couvre-feu et de la quarantaine – les produits agricoles issus de la culture de rente (sorgho, mil, maïs, riz et coton) ne peuvent plus sortir du pays. Conséquence : ces denrées pourrissent faute de d’infrastructures de stockage. Les agriculteurs ne peuvent plus écouler leur marchandise! Ils voient leurs activités chuter de façon drastique et leur capacité financière est fortement réduite.
Le problème c’est que si un maillon de la chaîne est défaillant, cela devient compliqué pour l’ensemble du système. Il n’y a pas que la distribution régionale qui est touchée, l’approvisionnement local est lui aussi très perturbé.

En effet, depuis plusieurs mois, ravitailler les zones internes du pays devient difficile. Le ravitaillement, la distribution, c’est vraiment l’une des grandes failles de notre organisation, et on s’en rend compte avec cette crise qui nous a tous pris de court. Rien ne présageait qu’un virus, nommé Covid-19, allait s’abattre sur le Burkina Faso! Jusqu’ici, jamais notre système agricole n’avait été remis en question, mais aujourd’hui, c’est certain, il faut le questionner.

Même si certains produits agricoles arrivent à être acheminés, il y a quand même un problème de pénurie. En fait, la politique agricole du Burkina Faso se base sur l’exportation des cultures de rente, en l’occurrence le coton. Le problème c’est que la production de légumineuses et de fruits a été plus ou moins négligée, en tout cas, elle n’a pas bénéficié du même accompagnement. Par conséquent, lorsqu’il y a une crise, comme celle que nous vivons avec le Covid-19, la production disponible dans le pays est insuffisante. Eh bien, le coronavirus a mis ces failles en évidence, il est venu pulvériser tout le système! 

L’agriculture durable en phase avec les enjeux du moment 

Heureusement, certains paysans ont tout misé sur un autre modèle d’agriculture : l’agroécologie. Le modèle agro-écologique consiste en une agriculture responsable en phase avec la biodiversité, pour une production saine et de qualité. L’une des spécificités de ce système agricole consiste à mettre en culture des plantes « amies » ensemble pour qu’elles se protègent mutuellement des ravageurs. L’exploitant n’a donc pas besoin d’utiliser de pesticides. Ce système de production agricole permet plus d’autonomie et moins d’importations. Et on voit la différence depuis le début de la crise sanitaire ! Faute d’avoir des légumes et fruits frais en quantité suffisante, les populations locales, notamment dans les grandes villes, ont pris d’assaut les fermes agroécologiques. La famille Belemgnegre peut en témoigner. Leur ferme agroécologique est installée dans un village situé à la périphérie de Ouagadougou. Souleymane Belemgnegre a fondé l’association Béo-neere ( “avenir meilleur” en mooré) en 2013 pour promouvoir l’agroécologie et former les paysans. Depuis presque dix ans, la famille mise sur le bio et le circuit court.

Au Burkina Faso, une ferme agroécologique veut réinventer « le monde d’après », Le Monde, 5 mai 2020

Razack Belemgnegre, le fils de Souleymane, est déjà dans les starting-blocks pour prendre la relève. Dans un reportage accordé au journal Le Monde, le jeune Razack, âgé d’une trentaine d’années, affirme qu’avec le Covid-19, la production de l’exploitation agricole a connu une importante hausse. Les clients se bousculent pour se procurer les produits de la ferme Béo-neere.
« On n’arrête pas depuis le début de l’épidémie, on a même dû augmenter notre capacité de production ». Razack Belemgnegre soutient qu’avec le modèle de l’agroécologie, les engrais chimiques sont inutiles. Les paysans cultivent leurs propres semences et fabriquent leur engrais à partir du fumier et du compost. Les produits issus de ce modèle agricole sont vendus en circuit court directement de la ferme au domicile des clients ou sur des marchés, et quasiment au même prix que ceux du commerce. 

« Avec la mise en quarantaine des villes, l’acheminement jusqu’à Ouagadougou est plus compliqué. Désormais on privilégie la vente microlocale. »
Les deux agriculteurs sont unanimes sur le fait que le Burkina Faso doit tirer toutes les leçons de la pandémie du coronavirus et opérer rapidement un changement de politique agricole pour basculer vers l’agroécologie. 
Razack Belemgnegre s’est donné pour mission d’implanter les bonnes pratiques agroécologiques dans quelques 70 villages, afin de sensibiliser de nombreux paysans.

« Le coronavirus doit nous servir de leçon. On a trop forcé la nature, on subit déjà les effets du changement climatique. Il faut repenser local, nous ne pouvons plus dépendre de l’extérieur pour nous nourrir. »


Razack Belemgnegre


Selon l’ONU, en Afrique de l’Ouest, le nombre de personnes touchées par la faim pourrait passer de 17 à 50 millions entre juin et août 2020

A Bobo-Dioulasso où je vis, les producteurs agricoles ont également pris conscience de l’enjeu. De nombreux exploitants, après avoir été sonnés par l’arrivée brutale du coronavirus, ont décidé de changer de modèle agricole. C’est le cas par exemple du groupement des producteurs mixtes du secteur 25 de la ville de Bobo-Dioulasso. Dans un espace soigneusement aménagé, qui s’étend sur plusieurs centaines de m², des hommes et des femmes s’affairent à cultiver différentes espèces de plantes. On peut y trouver des familles d’arbres fruitiers (citronniers, orangers, manguiers) qui cohabitent avec des arbres fruitiers sauvages (néré, karité, coco sauvage, pékoun).

Dans cette exploitation, on pratique la permaculture, une technique qui favorise à respecter l’équilibre de la nature. Les pieds de choux poussent aux côtés de plantes de manioc, la salade est protégée par l’ombre des citronniers… Ainsi, plusieurs types de plantes sont cultivés ensemble de façon harmonieuse, afin que chacune profite à l’autre. Le résultat c’est une exploitation à production rentable mais qui n’utilise pas d’engrais chimiques. La méthode du compostage est la pratique de fertilisation la plus utilisée. Sur le site de Nasso, localité située à 15 km de Bobo-Dioulasso, des terres sont valorisées pour la pratique de l’agroécologie.

Ces terres ont notamment permis de ravitailler la zone de Bobo-Dioulasso durant la période de quarantaine. Les exploitants de ce domaine agroécologique sont fiers de pouvoir ravitailler une grande ville comme Bobo-Dioulasso en cette période de crise sanitaire, où la demande en fruits et légumes a explosé. D’un point de vue global, la crise du coronavirus a eu un impact significatif sur le monde agricole burkinabè. Les agriculteurs ont pris conscience de la nécessité de basculer vers un nouveau modèle plus résilient, qui peut leur permettre de faire face à de nombreux défis. L’agroécologie est désormais perçue comme une solution.


Rappelons que le Burkina Faso aurait pu devenir une référence de l’agroécologie dans les années 80, si l’oeuvre du défunt président, Thomas Sankara, avait été poursuivie. A cette époque, Thomas Sankara avait décelé le potentiel de l’agroécologie pour rendre son pays autosuffisant sur le plan alimentaire. Il était très en avance sur son temps. C’est ainsi qu’il avait fait appel à Pierre Rabhi, un français d’origine algérienne, éminent spécialiste de la culture biologique, aujourd’hui internationalement connu. Son projet était de réformer la politique agricole du Burkina Faso qui présentait de nombreuses failles. Les deux hommes avaient de grandes ambitions pour le Burkina, mais, malheureusement, Thomas Sankara a été assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou, et le projet agroécologique est parti avec lui. Pierre Rabhi, quant à lui, n’a plus jamais été approché par l’Etat burkinabè et il est allé faire bénéficier son expertise dans d’autres pays. Quarante ans après, il aura fallu qu’un virus nous tombe dessus pour que le Burkina Faso renoue avec cette idée et s’ouvre sérieusement à l’agroécologie !

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