Parlons digital au Burkina Faso avec Ounteni Ouoba

Article : Parlons digital au Burkina Faso avec Ounteni Ouoba
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29 octobre 2020

Parlons digital au Burkina Faso avec Ounteni Ouoba

L’Afrique a manqué un rendez-vous crucial avec la révolution industrielle, ce qui a considérablement impacté son processus d’industrialisation. Une autre révolution, qui a débuté au détour des années 2000, a changé la face du monde : il s’agit de la révolution numérique. Malgré de nombreuses contraintes, l’Afrique met tout en œuvre pour ne pas louper ce nouveau rendez-vous. La pandémie du Covid-19 est venue conforter le processus de digitalisation de notre société, où le tout numérique est devenue omniprésent. Les multinationales les plus puissantes du monde évoluent dans le secteur du numérique et leur influence ne fait que s’accroître avec le temps.

L’Afrique représente un très vaste marché pour ces « monstres » du numérique et malheureusement, le continent possède un grand retard en ce qui concerne l’économie numérique. Pour la rédaction de ce billet, monsieur Ounteni Ouoba, ingénieur de Conception en informatique, spécialiste en digitalisation au Burkina Faso, nous fait l’honneur de nous accorder un entretien. Le jeune e-entrepreneur est un visionnaire ambitieux qui a mis au point des plateformes et des applications qui cassent de nombreux codes dans le secteur du numérique au Burkina Faso. Dans cet entretien, il nous parle de son parcours, de la place du digital au Burkina Faso, de son travail pour faire émerger dans la durée le commerce en ligne et de ses projets pour l’avenir.

Monsieur Ounteni Ouoba, merci pour le temps que vous m’accorder. Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Ounteni T. Cyrille OUOBA, spécialiste en digitalisation. Par ailleurs, je suis gérant de la société RIGO, qui est spécialisée dans le génie logiciel et la digitalisation, et de la société MONDJOSSI, qui est une fintech œuvrant dans la mise en relation prestataire-client et l’inclusion financière via le digital. Ma formation académique a essentiellement tourné autour de l’informatique. En fait, je suis titulaire d’un BTS en informatique industrielle et maintenance et d’un diplôme d’ingénieur de conception en informatique.

L’application « mondjossi », qui permet à de nombreux professionnels de proposer leurs services au public burkinabè – Crédit Photo : Ounteni Ouoba, avec son accord pour utilisation
mondjossi, téléchargeable sur Google play et App store
Crédit Photo : Ounteni Ouoba, avec son accord pour utilisation

Quel regard portez-vous sur le processus de digitalisation au Burkina Faso et en Afrique en général ?

Malgré le fort taux de pénétration du téléphone portable sur le continent, il faut reconnaitre que jusqu’à présent, nous restons de gros consommateurs de plateforme conçue, développées et hébergées ailleurs que sur le continent. C’est dire qu’il y a pas mal de travail à faire. La forme de digitalisation la plus répandu est celle des paiements mobiles, surtout en USSD, qui est très bien maitrisée par les populations pour envoyer et recevoir de l’argent. Le secteur de la consommation des biens et services via le digital balbutie encore dans la plupart des pays du continent dont le BURKINA FASO.

Vous avez développé et mis sur le marché des applications et des plateformes innovantes telles que Rigo Faso et Mondjossi. Quels sont leurs particularités et qu’est ce que ces applications apportent au public burkinabè ?

Nos plateformes sont conçues pour répondre aux besoins spécifiques de nos populations. Dès le départ, l’idée pour nous a été de s’appuyer sur le digital pour commercialiser au-delà de nos frontières, mais aussi à l’intérieur du pays, les produits transformés sur place. Ainsi, sur notre plateforme de vente en ligne, nous avions fait l’option de ne vendre que des produits burkinabè et africains, parce que ces produits manquent cruellement de visibilité, ce qui ne facilite pas leur accès. En ce qui concerne nos logiciels, ils sont conçus et développés en tenant compte des besoins réels et spécifiques des entreprises de l’espace de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine).

Le meilleur des produits burkinabè est à retrouver sur l’application Rigo Faso
Crédit Photo: Ounteni Ouoba
Variétés de vin made in Burkina Faso à retrouver sur Rigo Faso
Crédit Photo: Ounteni Ouoba
Ounteni Ouoba lors de la présentation de Rigo Faso
Crédit Photo : Ounteni Ouoba, avec son accord pour utilisation

Le commerce en ligne constitue aujourd’hui une gigantesque activité, qui génère des milliards de dollars. Est-ce que le Burkina Faso arrive à se tailler une petite part dans cet énorme gâteau ?

En toute honnêteté, pas vraiment. Du reste, c’est à l’image de toute l’Afrique. A l’horizon 2040, selon les prévisions, 95 % du commerce mondial se passera en ligne (la pandémie de la Covid-19 nous en a donné un aperçu). Mais encore une fois, l’Afrique peine à prendre sa place pour diverses raisons, parmi lesquelles la lenteur du politique pour prendre des décisions fermes dans ce sens, à l’exception de quelques pays comme le Rwanda ou le Kenya. D’autres facteurs tels que les moyens de livraison hors du continent et la difficulté de recevoir des paiements venant hors d’Afrique, directement sur les sites marchands africains, pénalisent le continent.

L’expédition de petits paquets vers les autres continents demeure encore très cher. Ensuite, le manque de confiance en la sécurité des transactions amène les opérateurs de paiement en ligne à ne pas vouloir traiter ce type d’opération en direction du continent. Pourtant, quand on parle de commerce électronique, c’est la mise en synergie de tous ces acteurs (site marchand, paiement, livraison) qui permet de faciliter les achats de la clientèle. Nous devons donc réussir à créer un marché africain en ligne, et cela est possible parce que nous avons une population jeune et de plus en plus « digital-alphabétisée« .

Au Burkina Faso, les autorités sont beaucoup plus focalisées sur l’exploitation des ressources minières. Vous faites partie de cette catégorie d’entrepreneurs qui estiment que le Burkina Faso peut tirer son épingle du jeu grâce à une bonne politique de digitalisation, adaptée aux réalités du pays. Vu le faible taux d’accès aux services internet dans le pays, est-ce que le secteur du numérique peut constituer une vraie source de revenus pour les caisses de l’Etat ?

Absolument. Observez une chose : dans le cadre du suivi des carrières des fonctionnaires par exemple, le seul moyen de poursuivre son dossier, c’est de se déplacer en général dans le ministère de tutelle situé à Ouagadougou. Alors, prenez le cas d’un enseignant qui est obligé de régulariser sa situation, il sera fréquemment amené à abandonner ses élèves pour aller voir où en est son dossier. A cela, il faut ajouter le risque sécuritaire que ce dernier encoure s’il est dans une zone d’insécurité, dû au terrorisme. Vous imaginez aisément ce que le pays perd sur le long terme. Ensuite, si l’on facilite l’e-entreprenariat des jeunes, avec un cadre réglementaire flexible, c’est sûr que c’est également une niche fiscale qui va se dégager.

Par ailleurs, lorsque l’on parle de digitalisation, les gens ont tendance à voir la mise en place des sites web et des applications mobiles. Or, la digitalisation de nos jours va bien au-delà et intègre ce qu’on appelle l’intelligence artificielle, qui peut aider le pays à optimiser ses investissements dans pas mal de secteurs. Imaginez que l’on puisse prédire les besoins exacts en carburant, en fourniture de bureau et autre de chaque ministère et ses démembrements, en décelant en amont automatiquement toutes les demandes infondées ? Il s’agit là d’une digitalisation qui permettra de réguler les dépenses.

Est-ce que vous travaillez avec les autorités en vue de mettre à disposition vos talents et votre expérience pour faire prospérer une économie numérique ?

Oui, à chaque fois que sommes sommes sollicités. Il y a la Direction du commerce électronique avec qui nous travaillons beaucoup sur la question.

Ounteni Ouoba lors de la signature d’un accord de partenariat avec la Chambre des métiers du Burkina Faso.
Crédit Photo : Ounteni Ouoba, avec son accord pour utilisation

Votre travail a été reconnu par différentes distinctions. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces distinctions ? 

En 2010, nous avons été primés à la Semaine nationale de l’Internet, pour notre logiciel de gestion commerciale WARIKO, qui est aujourd’hui à sa version 2.1. Lorsque la pandémie de la Covid-19 a débuté, nous avons vite fait de consacrer une partie de la plateforme de mise en relation MONDJOSSI, pour permettre aux agents de santé de prendre rapidement en charge les personnes qui demandaient assistance, afin de désengorger le centre d’appel qui commençait à saturer. La plateforme a été primée pour cela à l’Innov’Challenge Covid-19, organisé par le Ministère de l’économie numérique et des postes, appuyé par le PNUD et UNCDF. Les applications sont téléchargeables sur Playstore et App store (Mondjossi Client et Mondjosssi Agent).

Sur le plan national, vous menez régulièrement des campagnes et des ateliers de formation pour outiller les jeunes burkinabè quant aux avantages du numérique. Avec cette démarche, avez-vous pour ambition de former une nouvelle génération d’entrepreneurs burkinabè ?

Oui, c’est un rêve que je nourri depuis longtemps. J’espère, à terme, amener la jeunesse burkinabè à ne plus être seulement des consommateurs d’outils numériques venant d’ailleurs mais à être également des producteurs à l’image des géants de l’Internet (Facebook, Amazon, Alibaba, etc.).

Ounteni Ouoba lors d’une séance de formation au profit des jeunes.
Crédit Photo : Ounteni Ouoba, avec son accord pour utilisation
Séance de formation à Bobo-Dioulasso.
Crédit Photo : Ounteni Ouoba

Quels sont vos projets à court, moyen et long terme ?

A court et moyen terme, nous travaillons à vulgariser le digital et surtout nos plateformes au sein des populations, afin qu’elles adhèrent pleinement et qu’elles les intègrent dans leur quotidien. Pour nous, trouver un plombier ou un dentiste proche de chez soi et prendre rendez-vous ne doit plus être une question de bouche à oreille, mais plutôt de quelques clics. A long terme, notre Fintech va se spécialiser dans le financement des projets des jeunes, surtout ceux orientés digital. Les plateformes sont en court de tests.

Avec son ambition, sa détermination et ses compétences, Ounteni Ouoba est un exemple de réussite qui montre que le Burkina Faso peut faire du digital un puissant levier pour son développement. Le jeune e-entrepreneur ne se fixe aucune limite et c’est réconfortant de constater que le pays des Hommes Intègres peut compter sur des cerveaux qui étudient de nouvelles pistes et élaborent des stratégies innovantes pour l’épanouissement des populations. En ce qui concerne le volet socio-économique, le Burkina est confronté à d’énormes défis, et nul doute que le secteur du numérique peut constituer une alternative viable pour l’essor du pays.

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