Notre biodiversité est en danger, vers un monde peuplé uniquement de rats ? Réponse avec Joris Cromsigt

Article : Notre biodiversité est en danger, vers un monde peuplé uniquement de rats ? Réponse avec Joris Cromsigt
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2 novembre 2021

Notre biodiversité est en danger, vers un monde peuplé uniquement de rats ? Réponse avec Joris Cromsigt

Au cours de cette interview, l’éminent professeur Joris Cromsigt, spécialiste de l’écologie, de la faune sauvage et de la biodiversité n’a pas tourné autour du pot pour indiquer que notre monde est actuellement sur une pente très glissante.

En effet, avec le changement climatique, une grande partie de notre biodiversité est en train de disparaître. Il est nécessaire de réagir pour restaurer cette biodiversité qui est essentielle au cycle de la vie.

Quand ils auront coupé le dernier arbre, pollué le dernier ruisseau, pêché le dernier poisson. Alors ils s’apercevront que l’argent ne se mange pas.

Sitting Bull

Joris Cromsigt est professeur associé à l’Université suédoise des sciences agricoles d’Umeå, en Suède. Il est également professeur honoraire à l’Université Nelson Mandela de Port Elizabeth, en Afrique du Sud.

Professeur Joris Cromsigt – Crédit Photo Joris Cromsigt avec son accord pour utilisation

Avant de poursuivre, je vous invite à suivre ce documentaire « Avant le déluge ». Ainsi donc, cela va vous permettre de comprendre de grands enjeux

Ensuite, regardez la vidéo où l’on voit un dinosaure qui a fait un saut dans le temps pour avertir l’humanité. Les dinosaures se sont éteints suite à l’impact d’une comète sur la terre. Cependant, ils n’étaient pas responsables de leur extinction. Nous les humains, nous sommes conscients que nous fonçons tout droit dans le mur et nous ne faisons rien pour éviter le pire. Notre inaction va t-elle nous perdre ?

Léonardo Di Caprio, messager des Nations Unies pour la paix a fait un parfait résumé de la situation actuelle
Le message des dinosaures à la tribune des Nations Unies

Depuis plusieurs années, le professeur Cromsigt mène des recherches pour alerter le monde sur la réduction dramatique de la biodiversité. En effet, il a démontré qu’il existe un lien étroit entre tous les mammifères de la planète.

C’est grâce à l’action de certains groupes de mammifères que nous, les êtres humains, pouvons vivre sur terre. En effet, même les plus petits mammifères interagissent avec l’environnement terrestre pour créer les conditions de la vie.

La nature veut notre bien mais est-ce réciproque ?

Si ce programme n’avait pas été mis en place par ces incroyables espèces sauvages, il aurait été impossible de vivre sur terre. Mais aujourd’hui, ce processus crucial est en danger. La raison principale est le changement climatique et la destruction de l’environnement causés en grande partie par les activités humaines.

Les rhinocéros font partie des espaces animales menacés d’extinction. Crédit Photo : Jan Graf avec son accord pour utilisation par l’intermédiaire de Joris Cromsigt

Sous couvert du développement économique, nous avons mutilé notre environnement à plusieurs niveaux. En quelques années, de nombreuses réserves biologiques ont été réduites à néant et plusieurs espèces de la faune et de la flore sont en voie d’extinction sans que les principaux décideurs de notre monde s’en inquiètent plus que ça.

La situation est grave, je ne suis pas un oiseau de mauvais augure et je ne suis pas non plus le cliché que certains médias entretiennent sur les écologistes et les militants de l’environnement.

Oui, il y a certains clichés qui tendent à montrer que les écologistes sont paranoïaques et un peu trop radicaux sur les questions environnementales prétendant que c’est la fin du monde.

Prendre des décisions courageuses à Glasgow

Néanmoins, il faut être conscient d’une chose : les faits sont là, palpables, et nous allons droit dans le mur. Alors que la COP26 doit se tenir à Glasgow dans quelques semaines, Joris Cromsigt appelle à des mesures fortes pour réduire drastiquement la destruction de l’environnement.

En septembre dernier, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) avait déjà tiré la sonnette d’alarme lors d’un congrès à Marseille.

Plongeons maintenant dans les différentes analyses du professeur Cromsigt, qui a accepté de répondre à mes questions sur la question de l’environnement et notamment l’aspect biodiversité. Une interview sans filtre.

Notre biodiversité s’éteint dans l’anonymat

Professeur Cromsigt, merci pour le temps que vous m’accordez. Pouvez-vous vous présenter ?
Merci Amos pour cette invitation et pour l’intérêt que vous portez à notre travail ! Je m’appelle Joris Cromsigt et je suis originaire des Pays-Bas. Je suis professeur associé à l’Université suédoise des sciences agricoles à Umeå, en Suède.

De plus, je suis professeur honoraire à l’Université Nelson Mandela à Port Elizabeth, en Afrique du Sud. Dans mon unité de recherche, Megafauna & Sustainability (MegaSus), nous nous attachons à comprendre comment les mammifères façonnent le monde qui nous entoure. Nous sommes particulièrement intéressés par les processus par lesquels ces mammifères influencent le fonctionnement durable de notre planète et interagissent avec les humains et les sociétés humaines.

Le rapport préoccupant de l’l’IPBES

Professeur, depuis plusieurs années, la terre subie le problème de la réduction de la biodiversité. Quel est l’état des lieux ? Faut-il s’inquiéter de cette tendance ?

L’état des lieux est extrêmement préoccupant et nous sommes au-delà de 2 minutes à 12 minutes, durée pendant laquelle des espèces disparaissent chaque jour de la surface de la Terre. Le récent rapport de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques) décrit clairement comment les activités humaines conduisent à des taux d’extinction des espèces plus rapides que ce que notre planète n’a jamais connu auparavant.

La nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine et le taux d’extinction des espèces s’accélère, provoquant dès à présent des effets graves sur les populations humaines du monde entier

Rapport de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques)

En ce qui concerne mon espèce d’étude, les mammifères, nous nous dirigeons rapidement vers une planète « d’hommes et de rats », car la vague d’extinction actuelle frappe de manière disproportionnée les espèces les plus grandes. Plusieurs études indiquent que, si nous continuons au rythme actuel d’extinctions, les communautés de mammifères dans un avenir pas si lointain seront principalement constituées d’espèces de la taille de rats ou plus petites.

Le cycle de la vie, très fragile

Quel est l’impact de la disparition de certaines espèces végétales et animales sur notre planète ?

Il existe une grande variété d’impacts qui sont trop divers et nombreux pour être résumés ici. Mais le message clé est que le monde, tel que nous le connaissons, c’est-à-dire la planète habitable pour l’homme, est le résultat de l’immense diversité des espèces végétales et animales qui ont évolué au cours des derniers siècles et des derniers millions d’années.

Les processus abiotiques actuels (par exemple, les flux de nutriments), les modèles météorologiques, les régions climatiques, les profils des sols, etc. sont ce qu’ils sont en raison de l’impact des plantes et des animaux. En outre, la végétation est à l’origine du cycle hydrologique et des régimes climatiques de la planète.

Les animaux ont créé des sols productifs, les plantes et les animaux forment notre alimentation et nos médicaments. En d’autres termes, c’est le réseau complexe de la vie qui a permis à l’humanité de prospérer dans ce monde. L’effondrement de ce réseau signifiera l’effondrement de l’humanité ou du moins des civilisations et cultures humaines telles que nous les connaissons.

Ces espèces qui nous sont vitales

Les bousiers, qui sont des coléoptères coprophages, jouent un rôle majeur dans la nature en recyclant notamment les matières fécales. Que peut-il se passer si les bousiers ne remplissent plus leur mission ?

Je ne suis pas un spécialiste des bousiers, mais ils jouent effectivement un rôle central dans le recyclage des matières fécales, et plus particulièrement des nutriments qu’elles contiennent. Ils sont donc essentiels pour maintenir la productivité de nos terres.

En les perdant complètement, nous perdrons un service que la nature nous a fourni gratuitement. Nous devrions trouver des solutions technologiques coûteuses pour recycler les matières fécales. Évidemment, les engrais artificiels ont été, et sont encore, utilisés à cette fin.

Cependant, la science nous a montré que nous sommes confrontés à une crise des engrais. En effet, il est très difficile de recycler certains de ces nutriments, notamment le phosphore. Il se peut qu’il ne nous reste que 50 ans de phosphore que nous pouvons extraire pour l’utiliser dans les engrais artificiels. Nous devons donc de toute urgence restaurer les processus naturels qui pilotent le cycle des nutriments, comme les bousiers, mais aussi les vers de terre, les copépodes, les champignons mycorhiziens, etc.

Un travail minutieux réalisé sur le terrain avec des propositions concrètes

Professeur, quels sont les systèmes écologiques que vous étudiez dans le monde. Lequel vous a le plus impressionné dans vos recherches ?

La plupart de mes travaux se déroulent dans les savanes et les prairies d’Afrique du Sud et dans les systèmes forestiers et sylvestres européens. Au sein de mon équipe, nous venons également de lancer un programme sur les frugivores et la reforestation à Madagascar. Pour être honnête, c’est la nature qui m’émerveille. Elle m’étonnera chaque fois que je sortirai. La façon dont tous ces processus et acteurs interagissent pour former ensemble cette toile complexe de la vie.

Avec votre regard d’expert, quelles sont les solutions à adopter pour préserver l’équilibre de la biodiversité mondiale ?

La principale solution est de s’éloigner du modèle économique actuel qui est basé sur une utilisation destructrice, non durable, des ressources naturelles. Nous devons accepter que l’approche actuelle basée sur le profit, où les économies, petites ou grandes, doivent croître pour survivre, entre en conflit avec le fonctionnement de notre planète.

Les écosystèmes, les populations d’espèces et les processus écologiques ne continuent pas à croître, mais ne peuvent que croître jusqu’à une asymptote, puis se stabiliser et/ou être dans un cycle continu de croissance et de déclin. Une recommandation très spécifique : réduire fortement la consommation de viande (ce qui ne signifie pas nécessairement devenir végétarien) est une partie très efficace de la solution pour restaurer la biodiversité. Et les Européens et les Nord-Américains portent une énorme responsabilité à cet égard.

Y a t-il un lien entre la réduction de la biodiversité et la survenue des pandémies ?

Avec l’extinction de la biodiversité doit-on craindre l’apparition de pandémies comme celle de la covid-19 que nous connaissons actuellement ?

Oui, absolument. Veuillez consulter ici le blog que j’ai écrit à ce sujet.

Que peut-il se passer si l’humanité décide de ne pas agir pour préserver la biodiversité ?

Nous pourrions très bien nous éteindre en tant qu’espèce.

Crédit Photo : Joris Cromsigt avec son accord pour utilisation

Des recherches innovantes menées par le professeur et son équipe

Quels sont les travaux de recherche auxquels vous participez actuellement ?


Au sein de mon unité de recherche, nous menons de nombreux projets de recherche différents. En outre, il y en a trop pour les énumérer. Mais en voici quelques exemples :

Wilder Rangelands : Avec plusieurs étudiants en doctorat, nous travaillons sur l’atténuation du changement climatique et le potentiel d’adaptation des parcours africains plus sauvages (prairies, savanes, zones arbustives). Nous cherchons notamment à savoir si et comment les régimes de pâturage naturels (par exemple, le pâturage des rhinocéros blancs) favorisent la capture du carbone dans le sol et comment le changement climatique affecte les communautés de mammifères africains sauvages.

En fin de compte, nous souhaitons voir si nous pouvons développer des utilisations alternatives des terres, basées sur les régimes de pâturage sauvage, qui permettent d’atténuer le changement climatique, de restaurer la biodiversité et de soutenir une utilisation équitable des terres par des communautés locales prospères. Conséquences de la perte des mégaherbivores : En Afrique du Sud, nous menons un projet qui examine les conséquences écologiques du braconnage des rhinocéros blancs.

La nécessité d’étudier de nouvelles pistes

Rewilding Madagascar (dirigé par Sheila Holmes, membre de l’équipe) : nous venons de lancer un projet axé sur le rôle des mammifères et des oiseaux frugivores dans la reforestation à Madagascar. De nombreux arbres indigènes de Madagascar dépendent de la dispersion des fruits par ces mégafaunes.

Madagascar a des plans ambitieux pour reboiser des millions d’hectares. Mais nous examinons comment la restauration de sa mégafaune frugivore ne peut pas toujours être incluse dans ces plans. Dans ce projet, nous suggérons que la restauration de cette mégafaune dans le cadre de la reforestation va améliorer le fonctionnement des forêts restaurées. Cela conduira à des services écosystémiques plus importants pour la population humaine de Madagascar.

Mutualiser les efforts au niveau mondial

Faune sauvage et nouveaux capteurs : dans plusieurs de nos projets en Suède, aux Pays-Bas, en Afrique du Sud et à Madagascar, nous utilisons des méthodes et des capteurs novateurs pour suivre la faune sauvage. Il s’agit notamment de l’utilisation de pièges à caméra, de capteurs acoustiques, de colliers GPS, etc.

Ré-ensauvagement urbain (dirigé par Tim Hofmeester, membre de l’équipe) : un projet en Suède qui s’intéresse à la faune et à l’assainissement dans les zones urbaines. Dans le cadre des appels croissants à la création d’espaces verts dans les villes, nous créons également davantage d’habitats pour la faune sauvage dans les environnements urbains. Ce projet étudie l’influence de cette situation sur la faune suédoise et son interaction avec les humains.

Quel message voulez-vous faire passer au monde ?


Il y en a plusieurs. Mais un message important est que nous devrions ouvrir nos yeux et nos oreilles aux connaissances et aux solutions provenant de cultures et de sociétés « non occidentales ». En effet, à l’heure actuelle, notre science (ainsi que nos industries et nos politiques) est très fortement biaisée et guidée par des vues eurocentriques. En effet, Il est urgent de décoloniser notre science et notre pensée générale et d’inclure divers points de vue et perspectives pour trouver des solutions réellement innovantes aux défis mondiaux de la durabilité.

Le professeur Joris Cromsigt a été on ne peut plus clair. Le temps joue contre nous et nous sommes en plein dans une période cruciale pour l’avenir de l’humanité.

En effet, on a assez polémiqué, nous avons assez discuté. Nous nous sommes assez contredits. En outre, on a trop souvent eu recours à la politique de l’autruche, nous nous sommes trop voilés la face. Nous n’avons plus que deux options valables.

Crédit Photo : Joris Cromsigt avec son accord pour utilisation

Nous sommes le dernier espoir de la biodiversité

Soit nous agissons pour arrêter dans une action de grande envergure ce processus qui risque de nous engloutir tous soit nous attendons patiemment notre fin. En effet, il ne faut pas se leurrer, la COP26 ne proposera aucune recette magique pour résoudre l’urgence climatique.

Cependant, ce sommet peut jeter les bases d’une prise de conscience collective à l’échelle planétaire. Il va falloir que l’ensemble des acteurs de cette terre (dirigeants politiques et économiques, société civile, patrons de grandes entreprises, scientifiques, citoyens lambda, communautés ethniques) se mobilisent pour élaborer rapidement un plan d’urgence afin de sauver notre biodiversité. C’est sans doute le plus grand défi de l’histoire de l’humanité et si nous ne le relevons pas ça sera la fin.

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