Quand les coupures d’eau entravent la lutte contre le Covid-19

Article : Quand les coupures d’eau entravent la lutte contre le Covid-19
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20 juin 2020

Quand les coupures d’eau entravent la lutte contre le Covid-19

Mondoblog lance le projet Mondoblog, unis contre le Covid-19, pour raconter l’évolution et les conséquences de la pandémie de coronavirus du point de vue des Mondoblogueurs sahéliens.


Le Burkina Faso, à l’instar des autres pays dans le monde, a mis en place des mesures de prévention de sensibilisation à l’importance des gestes barrières. Depuis le mois de mars, les Burkinabè essayent tant bien que mal de s’adapter à un contexte auquel personne n’avait été préparé. On nous répète en boucle qu’une des règles d’hygiène de base reste de se laver les mains à l’eau et au savon plusieurs fois par jour. Et la population a compris la nécessité de respecter cette mesure pour sauver des vies. Mais comment faire quand la ressource essentielle manque ? Comment se laver les mains quand on n’a pas d’eau à disposition ? L’épidémie de Covid-19 rend visible les injustices face à l’accès à l’eau. 

Au Burkina Faso, de nombreuses initiatives citoyennes ont vu le jour, comme la fabrication de dispositif de lavage des mains, l’élaboration de solution hydroalcoolique ou encore la fabrication de masques avec des tissus locaux. Cependant, très souvent, ces dispositifs manquent cruellement de la principale ressource, l’eau. Dans le pays, de nombreux usagers sont privés d’eau à cause des coupures intempestives, le réseau de distribution d’eau étant défaillant.

Capture d’écran Facebook

L’accès à l’eau, un défi quotidien

Avant l’arrivée du coronavirus, le pays des hommes intègres, comme beaucoup d’autres pays sur le continent africain, était déjà confronté à des problèmes récurrents de coupure d’eau. Les installations sont vétustes, inadéquates et aucune politique d’accès à l’eau potable n’existe. Dans ce pays enclavé du Sahel, au moins 27 % de la population ne dispose d’aucun accès à l’eau potable et 60 % des habitants n’ont pas d’installations sanitaires, selon une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Unicef. Cette situation est exacerbée dans les régions confrontées à des crises politiques et sécuritaires. Ainsi, 1,9 millions de personnes ont besoin d’une assistance d’urgence en eau, hygiène et assainissement.


La pandémie de Covid-19 a aggravé le problème. Comme le souligne Fadel Ndaw, ingénieur en eau et assainissement à la Banque mondiale, dans une tribune publiée par le journal Le Monde :

“Il est évident que pour lutter de façon durable contre la propagation du Covid-19 et prévenir toutes les pandémies à venir, la disponibilité d’eau potable à proximité immédiate des habitations pour l’ensemble de la population est un impératif.”

Des plans d’urgence qui n‘améliorent pas l’accès à l’eau

Dans son adresse à la nation du 2 avril dernier, le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, a annoncé un ensemble de mesures économiques dont la baisse du montant des factures d’eau et même la gratuité pour les couches les plus défavorisées. Cette mesure du chef de l’Etat burkinabè devait permettre aux concitoyens de se fournir en eau afin de lutter contre la propagation du coronavirus. Mais le problème n’est pas le coût de l’eau mais bien la disponibilité de l’eau ! Par ailleurs, sur le terrain, le constat est tout autre, l’eau est devenue une denrée rare dans ce contexte de crise sanitaire.

L’attente peut durer des heures pour remplir un seul récipient.
Crédit Photo: Parfait Ouattara
File d’attente interminable pour recueillir de l’eau dans un quartier de Ouagadougou.
Crédit Photo: Naim Touré

De son côté, l’Office National de l’Eau et de l’Assainissement (ONEA) attribue le problème d’accès à l’eau à la surconsommation depuis l’annonce des mesures prises par le président du Faso. Au cours d’une conférence de presse le 14 mai à Ouagadougou, les responsables de l’organisme ont expliqué: « Généralement, l’ONEA ne coupe pas l’eau, ce sont des baisses de pression liées à la surconsommation ». Ils ont par ailleurs évoqué le gaspillage constaté depuis l’annonce des mesures économiques du chef de l’Etat. Selon l’ONEA, la consommation est passée de 190 000 m³ à 210 000 m³ par jour.

Les coupures d’eau intempestives sont légions dans presque toutes les grands villes. A Bobo Dioulasso par exemple, et particulièrement au secteur 25, là où j’habite, les coupures d’eau sont fréquentes. Depuis le début de la pandémie, c’est un véritable calvaire. Je n’ai presque jamais d’eau en continu dans la cuisine. On peut passer une journée entière sans avoir d’eau courante. Parfois, il faut veiller jusqu’à très tard dans la nuit (entre 1h et 3h du matin) pour arriver à faire quelques réserves. Et là encore, il faut s’armer de patience et de courage car même quand l’eau est disponible, le débit est très faible. Hier par exemple, j’ai veillé toute la nuit sans réussir à remplir ces deux seaux d’eau que vous voyez ci-dessous.

Je ne vous cache pas que ce matin j’étais vraiment aigri, j’ai sacrifié toute une nuit de sommeil pour arriver à ce maigre résultat. Au secteur 25 de Bobo-Dioulasso, il y a tellement de coupures d’eau que les habitants ont surnommé le quartier “Sahara 25” ! Un autre quartier situé en centre-ville où les coupures sont moins fréquentes a hérité du surnom « Les chutes du Niagara m’ont sauvé ».

Ceci étant dit, l’ONEA a bel et bien appliqué les mesures prises par le gouvernement au niveau des bornes fontaines: l’eau y est gratuite. Et tout gérant qui ne respecte pas la décision, sera sanctionné. Du coup, c’est la ruée. Personnellement, je ne m’y aventure car pas les files d’attente sont interminables. Je préfère de loin passer tout une nuit devant mon robinet pour attendre l’eau 😅 

Pour permettre un meilleur rationnement de l’eau, l’ONEA appelle l’ensemble de la population aux sens des responsabilités tout au long de cette crise sanitaire.
Les hôpitaux, centres névralgiques dans la riposte contre le Covid-19, sont également confrontés au manque d’eau. Ils ne disposent pas de forages donc en cas de coupure, il n’y a aucune possibilité alternative. 

Capture d’écran Facebook


“Les gouvernements africains viennent de mettre en place des plans d’urgence pour lutter rapidement contre la crise de Covid-19. Mais la plupart de ces plans mettent surtout l’accent sur la réponse d’urgence sanitaire et peu sur l’amélioration de l’accès à l’eau et à l’assainissement, si ce n’est à travers l’installation d’équipements pour le lavage des mains dans les centres de santé et autres lieux publics.”

Fadel Ndaw, ingénieur en eau et assainissement à la Banque mondiale


Le Burkina Faso a beaucoup de leçons à tirer de cette crise du coronavirus. Le Burkina n’a pas un problème d’eau, le Burkina a un problème de politique, c’est cette vision complètement dépassée qui nous a conduit là où nous en sommes aujourd’hui. La période post-Covid sera déterminante, ce sera le moment d’adopter de nouvelles politiques dans plusieurs secteurs d’activités, comme l’agriculture ou l’assainissement. Plus nous réagirons vite, plus nous serons résilients. En ce qui concerne l’accès à l’eau potable, il faut sortir des sentiers battus et adopter de nouvelles stratégies qui permettront enfin à l’ensemble de la population burkinabè de bénéficier d’un réseau de distribution d’eau performant. Le Covid-19 démontre, s’il fallait encore le prouver, que l’eau est une denrée précieuse, vitale qui doit être accessible à tous. L’eau est un service essentiel, un droit fondamental de l’homme reconnu en tant que tel par les Nations unies, ce n’est pas un privilège. 

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