Les anciens et le Covid-19

Article : Les anciens et le Covid-19
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3 juillet 2020

Les anciens et le Covid-19

Mondoblog lance le projet Mondoblog, unis contre le Covid-19, pour raconter l’évolution et les conséque⁸nces de la pandémie de coronavirus du point de vue des Mondoblogueurs sahéliens.


Depuis le début de l’épidémie, les autorités sanitaires martèlent que les personnes âgées sont les plus à risques face au Covid-19. À Bobo-Dioulasso, lorsque les premières mesures préventives ont été annoncées par le chef de l’Etat au mois d’avril, la psychose s’est très vite installée. Beaucoup de personnes âgées ont vu leur vie basculer du jour au lendemain. Il fallait absolument protéger cette catégorie de la population dont le système immunitaire fragilisé par le poids des années ne pouvait apporter une réponse appropriée à l’infection virale. Dans mon quartier, j’ai eu le privilège de m’entretenir avec deux anciens qui ont fait face à leur manière au contexte particulier de la crise sanitaire.

Quand les premiers cas positifs au coronavirus ont été enregistrés au Burkina Faso, le 28 février, la famille Ouédraogo a paniqué. En effet, dans la cour de cette famille, vit Aminata Ouedraogo, la matriarche dont je suis très proche. Aminata est âgée de 80 ans et il faut dire que l’arrivée du coronavirus a bouleversé les habitudes de cette mère, grand-mère et arrière-grand-mère. Avant l’entrée en vigueur des mesures préventives, Aminata avait l’habitude de se sortir très tôt le matin pour contempler le lever du soleil et regarder les jeunes élèves prendre le chemin de l’école. “Une jeunesse qui n’a plus le temps de savourer les choses simples de la vie”, selon l’octogénaire.

Aminata assise aux côtés de son petit-fils, Cheick Oumar Ouédraogo
© Amos Traoré

Devant le portail de la famille Ouédraogo, un espace a été aménagé pour permettre à la « vieille », comme on l’appelle chaleureusement, de vendre ses légumes aux habitants du quartier. Aminata aime être en contact avec les gens et il faut le dire, acheter des légumes chez la « vieille », c’est bénéficier de précieux conseils et d’une délicate attention. En gros, d’une thérapie salvatrice. La maladie du coronavirus est venue bouleverser tout cela. Pour ne prendre aucun risque, les proches d’Aminata ont négocié très dur avec elle pour qu’elle ne sorte plus de la maison pendant un temps. Au début, vous imaginez bien qu’elle n’était pas du tout enchantée mais elle a fini par accepter la situation pour ne pas mettre en danger son entourage.

« Mon fils, ça n’a pas été simple pour moi, je n’arrivais pas à comprendre comment une maladie pouvait entraîner tout ce désordre (rires). Mais grâce aux explications de mes enfants et les différents spots qui ont été diffusés à la radio et à la télé, j’ai compris qu’il fallait que je prenne mes précautions. Aujourd’hui ça va un peu mieux car je peux sortir de temps en temps devant la porte. C’est vraiment au début que c’était compliqué pour moi, j’étais enfermée dans la cour. Je peux te dire que j’ai été confrontée à de nombreuses situations au cours de ma vie, comme la terrible famine des années 80-90 au Burkina, mais cette crise là, c’est vraiment autre chose. Moi je suis vieille, mais vous les enfants vous devez apprendre à apprécier les choses simples de la vie comme se serrer la main où se faire des embrassades, ce qui n’est plus possible (elle soupire). Malgré mon âge avancé, j’ai été épargnée par la maladie, je suis toujours en bonne santé et je rends grâce à Dieu pour cela. Pendant cette crise sanitaire, j’exhorte tout le monde de faire ressortir le meilleur de lui même. » 

Après cet entretien avec Aminata, j’ai pu discuter avec un autre ancien du quartier. Il s’agit de « Papa Towndé », un militaire à la retraite âgée de 79 ans. Papa Towndé est très apprécié dans le coin et le grand-père connaît tout le monde. Quand il y a de petites querelles entre voisins, c’est chez Papa Towndé qu’on part les régler. Le Covid-19 a beaucoup marqué le vieux, lui qui a pourtant connu la Seconde Guerre mondiale (il avait 5 ans à l’époque), la Guerre froide, il est vétéran de la guerre de Noël Mali-Burkina en 1985. Papa Towndé a également dû chambouler ses habitudes avec l’arrivée du coronavirus.

Papa Towndé
© Shérif Hess Towndé

Avant le Covid-19, et comme il le fait depuis plusieurs années, le septuagénaire aimait se rendre chez tous ses voisins pour s’enquérir de leurs nouvelles. Lorsque les mesures restrictives ont été instaurées, Papa Towndé a réduit ses déplacements pour ne prendre aucun risque.

« Amos, cette période de quarantaine c’était vraiment quelque chose, j’ai eu l’impression que toute la société a eu peur de nous, les personnes âgées. On nous présentait comme des personnes à risque. C’est vrai que suis fatigué avec l’âge, mais mon fils, je peux te battre encore à la course du 1500 m (rires). Moi je vois ce petit virus comme une opportunité pour améliorer notre monde qui est actuellement sans dessus-dessous. J’ai fait la guerre, on a utilisé des armes qui donnent la mort. Mais là, un minuscule virus a réussi à faire taire toutes nos armes, même les plus sophistiquées. Dis-moi, où sont nos missiles, où sont nos bombes, nos avions de chasse de dernière génération? Est-ce que ces armes nous protègent contre le Covid-19 ? Non ! Selon moi, il faut qu l’Homme fasse la paix avec lui même et la nature. Oui, la nature est le point de départ de tout. Chaque jour que Dieu fait, on piétine notre nature, on la souille et voilà que ça nous rattrape. J’ai 79 ans, je suis tout près de la tombe, et je vous demande à vous la nouvelle génération de protéger la nature pour sauver le monde. Je n’aurais jamais imaginé vivre une période comme celle-ci. Une période où on ne peut plus se saluer, manger ensemble et fêter ensemble, ça me dépasse… »

L’entretien avec Papa Towndé fut long, il faudra sans doute un autre article pour rapporter tout ce que ce grand-père m’a raconté. J’ai beaucoup appris des échanges avec les anciens Aminata et Papa Towndé.

Paradoxalement, on présente les personnes âgées comme les personnes fragiles dans cette période trouble, mais après ces échanges, je peux vous dire que j’ai découvert deux personnes fortes, attentionnées et heureuses de pouvoir léguer leurs expériences et leurs conseils. Même s’ils sont, eux aussi, submergés par toutes ces informations anxiogènes qui circulent, ils ne se laissent pas ébranler, ils sont robustes et ils se sont adaptés à la situation. Ils respectent les mesures et les gestes barrières bien plus que nous les jeunes. Et surtout, ils ont foi en des lendemains meilleurs. En somme, Papa Towndé et la vieille Aminata ont espoir en la nouvelle génération, tous deux pensent que le Covid-19 est une opportunité qui nous a été offerte pour changer de modèle, pour construire “le monde d’après”. Nous tâcherons d’être à la hauteur de ces deux merveilleuses personnes.

Pour finir, j’aimerais paraphraser Frank-Walter Steinmeier, le président fédéral de l’Allemagne (un autre ancien), qui lors d’une allocution télévisée le 11 avril dernier, a dit : “Le Covid-19 n’est pas une guerre mais un test d’humanité.”

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