Burkina Faso : Le projet « Mottes de Terre » de Lassina Sanou, une innovation au service de l’environnement et une réponse au dérèglement climatique

Article : Burkina Faso : Le projet « Mottes de Terre » de Lassina Sanou, une innovation au service de l’environnement et une réponse au dérèglement climatique
Crédit: Vue d'ensemble des participants à l'atelier de Démarrage du projet mottes de terre - Crédit Photo : Amos Traore
10 août 2023

Burkina Faso : Le projet « Mottes de Terre » de Lassina Sanou, une innovation au service de l’environnement et une réponse au dérèglement climatique

Les participants à l’atelier de démarrage du projet mottes de terre
Crédit Photo : Amos Traore

En 2021, nous avions déjà eu l’opportunité d’interviewer Lassina Sanou. Le jeune chercheur est ingénieur de conception du développement rural (option : Eaux et forêt) et docteur en botanique et phytoécologie, il avait alors expliqué l’impact du dérèglement climatique sur la faune et la flore burkinabè tout en mettant en avant les défis que devront surmonter les populations locales pour s’adapter.

Lassina Sanou avait également égrené un certain nombre de solutions pour aider le Burkina Faso à faire face au dérèglement climatique. C’est dans cette lancée que le chercheur burkinabè coordonne un projet unique en son genre : le projet « Amélioration et promotion des mottes de terre pour la production des plants en pépinière », qui a officiellement été lancé le 24 juillet dernier.

Processus de fabrication des Mottes de terre
Crédit Photo : Lassina Sanou avec son accord pour utilisation

La recherche burkinabè en ordre de bataille dans la lutte contre le dérèglement climatique

Le projet, financé par le Fonds National de la Recherche et de l’Innovation pour le Développement (FONRID-Burkina Faso) vise à proposer une alternative dans la production écoresponsable des plants.

Au Burkina, les pépiniéristes utilisent en grande partie des matières plastiques pour élaborer des conteneurs qui servent de réceptacles aux plants. Les sachets plastiques sont utilisés, car les producteurs n’ont pas d’alternatives fiables. Le projet « mottes de Terre » du jeune chercheur est un concept novateur qui participe à la préservation de l’environnement grâce à la réduction de l’utilisation des sachets plastiques par les pépiniéristes. Ce projet est d’autant plus intéressant qu’il répond à plusieurs problématiques : en plus de réduire l’utilisation du plastique, il offre des pistes de solutions pour lutter contre le dérèglement climatique. Les mottes de terre constituent en effet un formidable catalyseur de croissance pour les plantes qui seront amenées à se développer dans un climat semi-aride.

Le pépiniéristes, grands bénéficiaires du projet « mottes de Terre »

Cette innovation ouvre de nouvelles perspectives aux pépiniéristes et autres producteurs en termes de génération de revenus. Le projet « mottes de Terre » s’inscrit dans une vision qui est à la fois environnementale, sociale et économique. Des produits du terroir ont été utilisés pour la fabrication de cette innovation.

Les Mottes de Terre, une innovation au service de l’environnement
Crédit Photo : Lassina Sanou avec son accord pour utilisation

C’est à Reo (Centre Ouest) que le projet fut lancé en présence d’acteurs majeurs du domaine de l’environnement. Lassina Sanou a brillamment exposé la vision de l’initiative « motte de Terre » et les participants à l’atelier de lancement du projet ont adoubé la vision d’ensemble.

Lassina Sanou nous a accordé une interview. Il nous parle de son projet ambitieux qui va apporter une grosse plus value dans la politique de préservation de l’environnement et dans la lutte contre le dérèglement climatique au Burkina Faso. Dans cette interview, vous constaterez que des solutions simples existent pour relever de grands défis environnementaux.

Dérèglement climatique : quand Lassina Sanou conjugue audace et résilience

Amos Traore : Docteur Sanou, pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?

Lassina Sanou : Je suis Lassina SANOU titulaire d’un doctorat unique en Botanique et Phytoécologie. Je travaille à l’Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA) plus précisément dans le Département Environnement et Forêts dont je coordonne les activités de recherche-développement de sa section de l’INERA-Saria, Centre-Ouest.

Amos Traore : En 2022, au cours d’une tournée en Afrique de l’Ouest, le Secrétaire Général de l’ONU, Antonio Guterres a livré ceci : « l’urgence climatique (…) accroît le risque sécuritaire ». Le Burkina Faso est confronté à l’instabilité sécuritaire depuis plusieurs années maintenant. Est-ce que vous partagez l’opinion de Monsieur Guterres ?

Lassina Sanou : Affirmatif ! Le dérèglement climatique cause beaucoup de problèmes aux communautés, car il impacte directement sur leurs moyens d’existence. Il cause le déplacement massif des populations et anime des conflits. Ilinstalle donc naturellement l’insécurité.

Monsieur Dibloni Ollo Théophile chef du Département Environnement et Forêts de l’Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles
Crédit Photo : Amos Traore

« Dans une pépinière, on produit maximum 50 000 plants. En utilisant les mottes de terre en lieu et place des sachets plastiques, une chaîne de valeur va voir le jour avec l’avènement de nouvelles débouchées économiques »

« En semant les plants dans les mottes de terre, c’est comme si l’arbre se trouve dans son milieu naturel et il faut travailler à ce que tous les pépiniéristes s’approprient cette innovation »

Dibloni Ollo Theophile

Le dérèglement climatique, un immense défi pour le Burkina

Amos Traore : Quel mécanisme de réponse climatique le pays peut-il mettre en place pour prévenir d’éventuels « conflits climatiques » ?

Lassina Sanou : A l’instar d’autres États, le Burkina Faso est pionnier dans le développement de mécanismes de réponse climatique. Les solutions, les actions en la matière, abondent. Les secteurs agricoles (cultures, élevage, foresterie, pêches et aquaculture) font partie intégrante des principales priorités des mesures d’atténuation et des objectifs d’adaptation établis par le pays.

Amos Traore : Quels sont les risques associés aux impacts du changement climatique sur les activités humaines et les écosystèmes terrestres ?

Lassina Sanou : Les changements climatiques impactent négativement sur les secteurs agricoles (cultures, élevage, foresterie, pêches et aquaculture) en ce sens qu’ils ne permettent pas aux secteurs concernés d’être au maximum de leur capacité de production. Les changements climatiques affectent les écosystèmes terrestres mais aussi les écosystèmes maritimes, en bouleversant leur organisation. Ses effets sont alors plus ressentis chez l’Homme, qui tire sa pitance quotidienne dans ces milieux.

Amos Traore : L’agriculture et la foresterie intensives sont des émetteurs de gaz à effet de serre. De plus, ces activités non maîtrisées participent à la dégradation des terres. Dans le contexte du Burkina, quelles sont les stratégies à adopter pour rendre l’agriculture et la foresterie beaucoup plus responsable de l’environnement et dans le même temps, optimiser les rendements agricoles et forestiers ?

Lassina Sanou : La seule solution efficace et englobante, c’est la pratique d’une agriculture climato-intelligente qui respectera l’être humain et l’environnement.

Une meilleure gestion des terres grâce aux mottes de terre

Amos Traore : Selon le rapport 2019 du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), l’utilisation des terres a entraîné une diminution de la biodiversité mondiale. Qu’en est-il du Burkina Faso ?

Lassina Sanou : Le Burkina Faso n’échappe pas à cette situation de perte de biodiversité et aujourd’hui, avec la crise sécuritaire, il est difficile de mener des actions ou des interventions qui permettent d’augmenter la résilience des écosystèmes. Du coup, nous assistons à la perte de notre biodiversité et c’est vraiment dommage !

Amos Traore : Dr Sanou, peut-on dire que la gestion durable des forêts est en mesure de prévenir et réduire la dégradation des terres ?

Lassina Sanou : Sans une gestion durable des forêts, il est très difficile d’éviter la dégradation des terres et par conséquent le réchauffement climatique.

Amos Traore : Au Burkina, les pépiniéristes s’adaptent sans cesse pour faire pousser différents types de plants. Ils ont recours le plus souvent à des récipients et surtout des sachets plastiques. Pouvez-vous nous expliquer les inconvénients et les limites de la culture de plants dans des sachets plastiques ? 

Réduire considérablement la présence des sachets plastiques dans la nature

Lassina Sanou : Les sachets plastiques sont très néfastes. Après plantations, ils sont déversés dans la nature et causent d’énormes problèmes à l’environnement et au bétail. Les sachets plastiques engendrent la déformation racinaire des plants. Ces déformations de racines perturberont pendant de longues années le fonctionnement physiologique de l’arbre et le bon développement racinaire, nécessaires à un ancrage correct. Cela perturbe aussi l’exploitation des ressources hydriques et minérales du site de plantation.

Monsieur Olivier Paré, entrepreneur agricole
Crédit Photo : Amos Traore

« La volonté politique doit accompagner ce projet. Si les pépiniéristes utilisent fréquemment les sachets plastiques, c’est parce qu’ils peuvent l’avoir partout à moindre coût. Il faut mettre en place un ensemble de mécanismes politiques pour vulgariser au maximum des innovations du genre mottes de terre et les rendre très accessibles. »

« Les projets qui s’inscrivent dans le cadre de la lutte contre la prolifération des sachets plastiques peuvent s’associer au projet « Motte de terre » pour créer un écosystème dynamique autour de la préservation de l’environnement »

Olivier Paré

Amos Traore : Parlez-nous de votre innovation « Mottes de Terre » 

Pour résoudre les contraintes énumérées plus haut, l’exploration de nouvelles stratégies de production de plants (dont les mottes de terre) sont une des solutions. Cette innovation a l’avantage d’être plus économique en offrant un retour rapide sur investissement qu’avec les pots en plastiques. Elle est aussi plus écologique, car elle réduit la pollution aux sachets plastiques et stimule la réussite des reboisements.

Genèse du projet mottes de terre

Amos Traore : Comment vous est venue l’idée des « Mottes de terre » ?

Lassina Sanou : Cette pratique a d’abord été développée en Hollande par l’Ingénieur anglais Michael Ladbrooke. Progressivement, elle sera utilisée dans toute l’Europe et l’Asie. Des recherches ont été menées au Burkina Faso en 1990 par le CNSF (Centre National de Semences Forestières) et l’INERA (Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles) dans le but de concevoir les mottes de terre pour la production des plants.

De 2016 à 2018, notre équipe de recherche à Saria, en collaboration avec d’autres partenaires, a poursuivi les travaux. C’est ainsi que nous avons obtenu des résultats intéressants sur la faisabilité et l’efficacité des mottes de terre dans la production des plants en pépinière et en plantation. Les résultats des tests ont montré un meilleur développement des racines, une meilleure croissance en hauteur et en diamètre des plantules produites dans les mottes de terre.

Cependant, la technologie a besoin d’une amélioration avant sa vulgarisation à grande échelle. C’est ainsi que nous avons entrepris d’accompagner les producteurs des régions du Centre-Ouest et de la Boucle du Mouhoun dans l’apprentissage de cette innovation, nous échangeons avec eux et nous les invitons à explorer d’autres pistes en production de plants, à partir de conteneurs non plastiques.

Amos Traore : Nous sommes en pleine saison pluvieuse, période où diverses activités de reboisement sont lancées au Burkina. Votre innovation pourra-t-elle être utilisée à grande échelle pendant cette campagne hivernale ?

Lassina Sanou : Affirmatif ! Les plants produits dans les mottes de terre pourront contribuer efficacement à la réussite des campagnes annuelles de reboisement sur l’ensemble du territoire.

Lieutenant Colonel Coulibaly Ali (Droite), Directeur régional de l’environnement de la Boucle du Mouhoun et Amos Traore (Gauche) Crédit Photo : Amos Traore

« Le projet Motte de terre viendra à terme soulager un peu tout ce que nous rencontrons comme difficultés en matière de sachets plastiques »

« Tel que le projet est monté et ficelé, les pépiniéristes seront en mesure de rentabiliser leurs activités. En effet, l’ensemble des matériaux entrant dans le processus de fabrication est disponible sur le terrain et presque gratuit »

Lieutenant Colonel Coulibaly Ali

Les mottes de terre pour une bonne réussite des reboisements

Amos Traore : Quel regard portez-vous sur les campagnes de reboisement actuelles, leur format ?

Lassina Sanou : Les campagnes de reboisement actuelles sont un plus pour éviter ou freiner l’avancée du désert. Un travail énorme est fait pour assurer leur réussite partout dans le pays. On parle aujourd’hui de la sécurisation des sites de plantation et du suivi des plants transplantés. Il ya aussi l’évaluation de leur taux de survie.

Amos Traore : Vu que les plants utilisés se développent dans des sachets plastiques, quel est le taux de succès de ces reboisements ? Ya-t-il un impact positif sur le couvert végétal ?

Lassina Sanou : Les plants produits dans des sachets plastiques ont un problème de développement racinaire, or, les racines sont des parties de la plante qui sont capitales. Par conséquent, une mauvaise croissance dans les sachets plastiques entraîne inévitablement un coup dur pour la réussite des reboisements.

Docteur Lassina Sanou (Centre) en compagnie de Yelemou Barthelemy (Gauche- Directeur régional de la Direction Régionale de la Recherche Environnementale et Agricole) et de Natacha Thiombiano
Crédit Photo : Amos Traore

« On remercie le bailleur (FONRID-Burkina) de nous avoir accordé un financement à hauteur de 30 millions de FCFA pour ce projet qui va s’étaler sur 3 ans. Ce sont des sentiments de fierté qui m’animent. Le FONRID avait reçu plus de 274 candidatures d’appels à projets et à la fin 13 ont été jugés viables pour recevoir un financement. Le projet Motte de Terre fait partie des élus et cela constitue une grande satisfaction »

Lassina Sanou

Amos Traore : Peut-on affirmer que votre innovation est en mesure de contribuer à la lutte contre la désertification ?

Lassina Sanou : Oui on peut le dire, l’innovation contribue à la lutte contre la désertification, car elle permet non seulement d’avoir des plants vigoureux, mais le substrat/terreau qu’est la motte a l’avantage de maintenir longtemps l’humidité et les nutriments disponibles pour les plants. Or nous savons que l’eau est l’un des facteurs limitants pour la croissance et l’établissement des plants après transplantation. Si ces aspects et/ou difficultés sont maîtrisés, il va de soi que les plants transplantés ne crèveront pas et qu’ils seront en mesure de reconstituer un véritable couvert végétal.

Madame Barry Fanta (Gauche) chargée de l’impact socio-économique du projet « Mottes de Terre »
Crédit Photo : Amos Traore

Le Burkina se dirige-t-il vers l’émergence de nouvelles filières économiques dans le domaine de l’agriculture ?

Amos Traore : Comment les pépiniéristes peuvent-ils s’approprier votre innovation pour un bon rendement de leurs pépinières ?

Lassina Sanou : Dans le projet, nous avons prévu le renforcement des capacités des pépiniéristes sur la confection des mottes de terre. Aussi, des artisans seront mis à contribution dans le processus de confection de moules pour faire des mottes de terre. Ces pépiniéristes, en plus de la formation, bénéficieront de kit pour la production de mottes de terre.

Amos Traore : Peut-on dire que les mottes de terre et les pots de culture qui sont autre que les pots en sachets plastique peuvent aider à la régénération continue des parcs agro forestiers et zones boisées du Burkina ?

Lassina Sanou : Les mottes de terre ont pour rôle principal de participer à la mise en place d’un environnement de plantations à l’échelle locale et nationale. L’atteinte de cet objectif se fera grâce à la disponibilité de plants vigoureux pour assurer de meilleur(e)s reboisements/plantations. Les mottes de terre apportent des solutions au difficile problème de reprise et de la croissance vigoureuse des plantations dans les écosystèmes soumis à de fortes contraintes environnementales et de stress hydrique.

Dr Sata Diawara (Gauche) et Amélie Bougman (Droite) qui ont fait de très belles observations lors de l’atelier de démarrage
Crédit Photo : Amos Traore

La recherche burkinabè au service de l’environnement et de la population

Amos Traore : L’INERA et le FONRID vous ont accompagné dans la mise en avant de votre innovation. Pouvez-vous nous parler de ces deux institutions qui soutiennent la recherche au Burkina Faso ?

Lassina Sanou : Ces deux entités sont des propriétés de l’État burkinabè. Le premier est mandaté pour conduire des activités de recherche afin de résoudre les problèmes sociétaux. Le second finance la recherche à proprement parler. On peut dire que ces deux structures étatiques sont des partenaires pour le rayonnement de la recherche et de l’enseignement supérieur burkinabè.

Amos Traore : Quels sont vos objectifs à court, moyen et long termes avec le projet Motte de terre ?

  1. La limitation de l’utilisation des sachets plastiques dans la production des plants, ainsi que de toute chose qui diminuera la mortalité des animaux domestiques, causée par l’ingestion des sachets plastiques
  2. Grâce à la généralisation de cette limitation du plastique, l’environnement sera désormais débarrassé des milliers de sachets déversés dans la nature après les campagnes de reboisement.
  3. La création d’emplois verts rémunérés au niveau local pour les femmes, les jeunes et hommes
  4. La diminution considérable des coûts de production des plants chez les pépiniéristes comparativement à celle effectuée avec les sachets plastiques
  5. La garantie d’une réussite des reboisements
  6. La contribution à la Réduction des Emissions due à la Déforestation et à la Dégradation forestière (REDD+) et à la restauration des terres dégradées, la mitigation du climat, la résilience éco systémique des zones semi-arides par des plantations réussies et l’amélioration de leur capacité de séquestration du carbone.
Lassina Sanou (Gauche) et Amos Traore (Droite)
Crédit photo : Amos Traore

Amos Traore : Peut-on s’attendre à une généralisation de votre innovation au Burkina Faso ?

Lassina Sanou : Évidemment, dans notre projet il y a un volet diffusion des résultats obtenus. L’importance de ce volet c’est de faciliter l’adoption à grande échelle de l’innovation.

Amos Traore : Quel est votre mot de fin ?

Lassina Sanou : C’est de vous dire merci !   

Pour en savoir plus sur le projet « Mottes de Terre » et les activités de Lassina Sanou, rendez-vous sur :

https://envirinfos.net/ et sur la page officielle Dr Lassina Sanou

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