Burkina Faso : Discussion avec une « Personne Déplacée Interne »

Article : Burkina Faso : Discussion avec une « Personne Déplacée Interne »
Crédit: Doumadiyé Rodriguez Guel (avec son accord)
17 juin 2024

Burkina Faso : Discussion avec une « Personne Déplacée Interne »

Depuis 2016, le Burkina Faso est confronté à l’hydre terroriste. Cette crise sécuritaire d’une grande complexité a eu des répercussions sur la vie sociale du pays.

Afin de fuir les exactions des groupes armés terroristes, de nombreuses personnes ont dû quitter des localités impactées, abandonnant tout derrière eux.

Ils ont abandonné leurs terres, leur quotidien calme et paisible dans le but de rester en vie. C’est ainsi que ces compatriotes se sont retrouvés avec le statut de « Personnes Déplacées Internes ». Ils sont plus de deux millions actuellement, et le nombre de personnes déplacées internes est élevé dans les grandes villes.

Le gouvernement burkinabè a consenti d’énormes efforts pour accompagner ces personnes déplacées internes dans leur processus de reconstruction. La situation n’est pas simple, mais je suis en admiration face à ces hommes, femmes et enfants qui nous donnent une somme de leçons de vie. Dimanche dernier, alors que j’effectuais ma traditionnelle sortie à vélo (je suis un grand fan de Lance Armstrong et le cyclisme est une thérapie pour moi), j’ai aperçu un groupe de personnes installé près d’un feu tricolore avec quelques bagages.

Arrivé à leur niveau, j’ai marqué un arrêt et je les ai adressés un « Aw ni sôgôma » qui veut dire « Bonjour » en langue dioula. Ils ont répondu en chœur « Hêrê sira » qui signifie « Comment ça va ? ». Le groupe était constitué en majorité de jeunes enfants, de femmes et de personnes âgées. J’ai remarqué qu’ils avaient l’air fatigué. Le groupe était stupéfait de me voir.

Apparemment, c’était leur première fois de voir un cycliste avec un accoutrement spécial : casque, lunette, cuissard et maillot de l’équipe française Cofidis, gants. Après quelques instants d’hésitation, un vieillard et un jeune garçon s’approchèrent pour contempler mon vélo de course (Peugeot 250) en aluminium. J’ai mis pied à terre afin qu’ils puissent bien observer la monture.

Une rencontre qui interpelle

Un grand moment de complicité s’est alors installé entre nous. Curieux, le vieil homme a soulevé mon vélo de course et il n’en revenait pas qu’il soit aussi léger. Le petit qui l’accompagnait, lui, n’arrêtait pas de me regarder. Il devait sans doute se demander qui est cet extraterrestre.

La glace étant brisée, le vieil homme m’a présenté aux autres membres du groupe. Au fur et à mesure des échanges, j’ai découvert que ce sont des personnes déplacés internes. D’après leur récit, ils ont abandonné leur localité à la suite d’une incursion armée des terroristes. Ils n’ont eu le temps que de prendre avec eux quelques effets pour ensuite se sauver. Plus on échangeait, plus je mesurais l’étendue de ce qu’ils avaient vécu. Ils ont fait une halte à Bobo-Dioulasso où ils ont bénéficié du soutien de l’action sociale. En apprenant leur histoire, je fus submergé par toute sorte d’émotions.

Même dans les pires moments, le beau peut surgir

Cependant, je n’étais pas au bout de mes surprises. Le vieillard qui semblait être le guide du groupe m’a demandé de prendre un peu de mon temps pour écouter chanter une de ses jeunes filles. J’ai accepté et il faut dire que j’étais curieux.

Des déplacés internes à Dori, région du Sahel, avec à leur côté un soldat en patrouille dans la ville, le 3 février 2020
Des déplacés internes à Dori, région du Sahel, avec à leur côté un soldat en patrouille dans la ville, le 3 février 2020. Crédit : Olympia De Maismont / AFP

J’étais loin de m’imaginer que j’allais assister à un moment extraordinaire. En dioula, la jeune déplacée interne a entonné une mélodie envoutante. Très vite, sa voix douce, soyeuse, pure, m’a transporté dans un autre univers. J’étais littéralement scotché, abasourdi, émerveillé par ce que j’attendais.

La jeune fille chantait l’espoir, la positivité, le sens du partage et de la tolérance, la gratitude, le cherissement des êtres chers, l’empathie. Avec sa seule voix, sans aucun instrument, cette gamine m’a ébranlé. Même les oiseaux se sont tu pour écouter. Un moment tout simplement magique. Quand elle a terminé, j’étais toujours sous le choc. J’ai regardé le vieux avec un air incrédule. Ce dernier a souri et il m’a dit : « Mon fils, je te comprends, cet air que tu présentes est un magnifique cadeau pour nous. Généralement, quand les gens nous voit, ils ont de la pitié à notre égard. Il est vrai que nous sommes dans une situation difficile, mais nous n’avons pas besoin de pitié. Nous voulons juste exister aux yeux des autres. Avec sa voix, ma fille t’a agréablement surpris et je suis fier de cela. »

J’étais doublement choqué avec ce que le vieil homme venait de me dire. Il m’a ensuite présenté à deux autres jeunes du groupe des déplacés : « Celui-ci possède un don. Il est capable de transformer n’importe quel bout de bois en œuvre d’art. Ma prière est de le voir réussir dans la menuiserie. L’autre est un très grand fan de football et il adore commenter les matchs. Au village, c’est lui qui animait avec virtuosité les rencontres de football. Si on s’en sort vivant de toutes les péripéties que nous traversons, je suis persuadé qu’avec du travail, il sera recruté dans une radio ou une télé de la place. Je ne sais pas comment, mais j’en suis persuadé. »

Et maintenant ?

L’heure commençait à filer et le chef du groupe m’a signifié qu’ils devaient se dépêcher afin de trouver un moyen de déplacement pour rallier un autre horizon. Apparemment, mes amis d’un jour n’étaient que de passage à Bobo-Dioulasso. En discutant, une relation unique s’est construite entre nous.

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Marché de Bobo-Dioulasso. Crédit : Wikipédia Creative Commons

Ces compatriotes qui ont presque tout perdu et qui ont vécu des moments difficiles, m’ont offert un bonheur sincère, moi habitant de la ville qui vit dans un relatif confort. Quel est le message qui se cache derrière cela ? Mon seul regret est de n’avoir pas réussi à immortaliser la prestation de la jeune fille à travers une vidéo.

Je m’en suis voulu extrêmement de n’être pas sorti avec mon téléphone pour filmer cette âme pure. Ainsi, de nombreux burkinabè ne sauront pas qu’il existe un talent de ce genre, qui de plus est une déplacée interne.

Lorsque arriva le moment des au revoir, j’ai demandé au vieux s’il est possible qu’on se revoie un jour. Il m’a alors répondu ceci : « Si Dieu et l’univers ont permis que l’on se croise aujourd’hui, alors il est fort probable qu’on se croise de nouveau un jour. Je suis content de t’avoir rencontré. Je n’ai qu’une chose qu’à te dire, sois heureux. » C’est ainsi que nous nous sommes séparés.

Je les voyais partir avec un regard rempli d’espoirs et d’incertitudes. Il y a des fois où j’ai le moral à plat. Je cogite beaucoup sur certaines situations. Mais depuis cette rencontre improbable, j’essaie de relativiser les choses. Je me rends compte que j’ai énormément de chance. Parfois la vie n’est pas rose, mais il faut apprendre à être heureux en toute circonstance.

Des lendemains meilleurs en perspective si…

Que réserve l’avenir à ces braves compatriotes ? Ils n’ont pas demandé à se retrouver dans cette situation, mais ils trouvent la force de s’adapter. Cette rencontre restera gravée en moi et elle m’a fait comprendre qu’il faut enclencher des mécanismes pour exploiter le talent des personnes déplacées internes.

Comme le vieillard me l’a signifié, ces personnes frappées par le destin n’ont nullement besoin de notre pitié. Ils veulent juste exister, se sentir utile, apporter de la plus-value à la société. Je suis persuadé que l’on peut exploiter les différents talents des déplacés internes dans plusieurs domaines tels que le sport, l’art, le chant, la cuisine, l’innovation, l’agriculture, les sciences etc.

Il faut trouver un moyen pour intégrer les personnes déplacées internes dans le processus de construction de la société burkinabè. Pourquoi ne pas créer des activités ludiques et stimulantes pour elles ? Par exemple, des one man show, des championnats, des concours, diverses compétitions qui permettront aux personnes déplacées internes de montrer à la face du monde leur talent.

Drapeau du Burkina Faso. Crédit : Pixabay

On pourrait détecter des champions, des talents inoubliables, des œuvres exceptionnelles comme ce fut le cas lors de ma rencontre avec la jeune chanteuse du dimanche dernier. Avec cette approche, nous serons bien préparés pour affronter le monde d’après. Nous sommes confrontés à d’immenses défis, mais utilisons les coups douloureux du glaive des épreuves pour tracer un autre chemin. Les personnes déplacées internes nous donnent chaque jour des leçons. À nous d’en tirer les meilleurs enseignements pour révéler toute la beauté de la nature humaine.

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